Le trou du curé situé près du château du Pont est un témoignage de la période révolutionnaire. Des nobles et des membres du clergé s'y sont cachés pour échapper aux révolutionnaires. Notre région fut au coeur des troubles de la révolution. Partons à l'exploration de cette période vécue en Haut Languedoc (Lacaune, Anglès, Saint Pons, La Salvetat).
Cet article s'appuie sur une remarquable publication que vous pourrez lire complètement :
"Mémoires affrontées : Protestants et catholiques face à la Révolution dans les montagnes du Languedoc" de Valérie Sottocasa aux Presses universitaires de Rennes en voici le lien : https://books.openedition.org/pur/17147
La révolution de 1789 a été vécue de façon particulière dans notre région. Région de montagne, région de frontières religieuses ; d'abord acceptée assez naturellement, elle a rapidement clivée les opinions et les antagonismes en fonction des évènements.
L'opinion générale en Haut Languedoc face à la Révolution
La plupart des ouvrages qui existent sur la période révolutionnaire dans les départements du Midi languedocien s’accordent à signaler une sorte d’état de grâce dans les premiers moments de la Révolution cependant le région n'est pas exempte, dès 1789, de quelques troubles liés aux problèmes d'approvisionnement (ce qui ne présume pas d'une attitude "contre révolutionnaire").
"Le diocèse de Castres (Murat, Lacaune) et la région de Lodève. Les montagnes paraissent plus fragiles. Si, dans les villes, les autorités ont des facilités pour mobiliser des capitaux et acheter des grains, dans les montagnes les officiers municipaux n’ont souvent d’autre solution que de céder aux revendications populaires : retenir les grains sur place et réglementer les prix. Les hautes terres ne sont donc en aucun cas à l’écart des grands mouvements sociaux et politiques qui agitent le royaume dans les premiers mois de 1789."
1791 : Constitution civile du clergé
La mise en oeuvre de la constitution civile du clergé a quelque peu modifié l'opinion de certains sur la révolution. Particulièrement en Languedoc, l'opposition à l'exigence faite au clergé de prêter allégeance au pouvoir révolutionnaire s'est affirmée dans une partie de la population. En effet, la question religieuse était vivace en Languedoc et particulièrement dans nos montagnes où les communautés protestantes étaient très implantées malgré les répressions faites par le royaume. L'adhésion au projet révolutionnaire a été vécu différemment que l'on soit catholique ou protestant.
"Le décret qui rend le serment obligatoire pour tous les prêtres en charge d’une paroisse ainsi que pour les évêques en poste dans un diocèse, est voté le 27 novembre 1790, malgré les réserves du Comité ecclésiastique. Le roi donne son accord le 3 janvier et le texte du décret est expédié aux administrations départementales, chargées de le faire parvenir aux communes. Le serment devait être prêté à l’issue de la messe dominicale, en présence des autorités municipales et des fidèles, dans un délai d’une semaine suivant la réception du décret. Ceux qui refusaient de s’y soumettre devaient être remplacés et se voyaient privés de leur traitement. Le serment est donc une mesure radicale, destinée à contraindre les prêtres à se déterminer publiquement sur les réformes religieuses. "
"Le clergé héraultais est sans doute le plus favorable au serment : 44 % des prêtres s’y soumettent. Les montagnes de la partie occidentale du département, qui correspondait à l’ancien diocèse de Saint-Pons, ont adhéré de manière enthousiaste : 80 % des prêtres sont assermentés ! En revanche, dans les monts de Lacaune tout proches, les réticences ont été très marquées : 17 % des prêtres du district de Castres ont prêté le serment et seulement 6 % dans celui de Lacaune. Là encore, la présence d’une minorité protestante semble significative, alors que le Saint-Ponnais ne compte aucun protestant."
"La région de Lacaune (Tarn) est très proche du Rouergue méridional ; les contemporains la qualifiaient de « hautes montagnes ». Ce sont, de plus, des terres de frontière religieuse. Des communautés réformées se sont maintenues dans les bourgs et les villes, et s’y sont spécialisées dans le négoce et l’industrie textile. La révocation de l’édit de Nantes a suscité de nombreux départs ainsi que des abjurations. De ce fait, les protestants qui représentaient la moitié de la population de Castres au milieu du xviiesiècle, n’en constituent plus qu’un vingtième à la veille de la Révolution. Mazamet a mieux résisté (les protestants y sont passés de 83 à 54 % de la population) ; situation identique à Esperausses (94 % des habitants sont réformés en 1665, 40 % en 1744). À Lacaune, la part de la population réformée chute de 40 à 20 % entre 1665 et le début du xixe siècle. Comme dans l’ensemble des régions que nous avons étudiées, les protestants soutiennent la Révolution. Deux pasteurs ont assumé des fonctions à l’échelle nationale : Jean Bon Saint-André, natif de Mazamet, pasteur de Castres de 1773 à 1782 et Alba, dit La source, pasteur de Lacaune. Tous deux ont été députés à l’Assemblée législative puis à la Convention. Nul doute que la présence de minorités protestantes a joué un rôle dans la détermination des catholiques opposés au serment. Dès le printemps 1791, des émeutes éclatent un peu partout, les villes mixtes étant les principaux théâtres des troubles.
C’est à Castres que la mobilisation catholique est la plus précoce, mais les montagnes sont rapidement gagnées et deviennent le cœur de l’opposition populaire à la Constitution civile du clergé. Lacaune est à la tête de la protestation catholique, qui se teinte d’un violent sentiment antiprotestant. Toutes les formes de mobilisations se retrouvent dans ce district monagnard dont la détermination ne faiblit pas durant la décennie révolutionnaire. Les paroisses situées au cœur de la montagne conservent un haut niveau d’agitation jusqu’en 1799, que ce soit à Viane, Rayssac, Castelnau-de-Brassac, Brassac ou Angles, qui s’affirment comme les principaux pôles de la résistance. Alors que la Terreur blanche fait rage ici plus que partout ailleurs, la question religieuse reste la première cause de mobilisation populaire, en particulier dans la montagne. Terres de frontière religieuse, les monts de Lacaune appartiennent bien à ces « fronts » révélés par l’épreuve du serment de 1791."
"Dans le Saint-Ponnais, l’absence de protestation populaire face au serment de 1791 relève de raisons diamétralement opposées. Le serment est prêté ici par une forte majorité des prêtres de l’ancien diocèse (79 %), en accord avec les fidèles. Il est délicat d’expliquer les raisons de cette attitude si ce n’est en mentionnant l’influence du jansénisme dans les anciens diocèses de Lodève et de Saint-Pons. Pour Gérard Cholvy, la diffusion du jansénisme auprès des classes populaires a été assurée grâce à l’attitude du clergé local. Les sermons sont prononcés en français ou en patois, la lecture de la Bible traduite dans ces deux langues est fréquente au cours des messes et dans le cadre du catéchisme. Dans le diocèse de Saint-Pons, ces choix expliqueraient la vigueur de la religion populaire, tout autant que son ouverture aux réformes mises en œuvre par l’Assemblée nationale. L’importance des débats dans ce diocèse dont le supérieur du séminaire, Alexandre Rouanet, avait diffusé les thèses richeristes, aurait par ailleurs accoutumé les fidèles à de vives querelles religieuses, dans lesquelles la hiérarchie cléricale n’était pas toujours respectée. De fait, le diocèse de Saint-Pons affronte l’épreuve du serment avec sérénité et accueille très favorablement le sermon du curé de Saint-Pons, devenu évêque constitutionnel du département, en faveur de la Constitution civile du clergé. Imprimé et prononcé en occitan, ce discours est conforté par les déclarations publiques d’Alexandre Rouanet, affirmant que « la Constitution civile nous rapprochant des premiers siècles du christianisme [...] paraît propre à en faire revivre l’esprit. » En aucun cas on ne peut prétendre que cette absence de mobilisation populaire contre le serment soit le signe d’un affaiblissement de la pratique religieuse : les premières mesures menaçant l’Église constitutionnelle et ses prêtres suscitent une opposition très vive de la part des fidèles qui refusent toute forme de déchristianisation."
1792 : Les tensions se transforment en guerre de religions
"Dans l’ensemble du royaume, la fin de l’année 1791 et le début de 1792 voient une radicalisation du mouvement populaire. Pour Anatoli Ado, ce mouvement culmine au printemps et à l’été 1792. Les difficultés économiques et l’agitation royaliste suscitent une inquiétude générale dans les campagnes ; le nord de la France est le théâtre de vastes mobilisations populaires contre la vie chère qui contraignent l’Assemblée nationale à légiférer sur la question de la libre circulation des grains, ouvertement contestée. Le printemps suivant voit une généralisation des troubles frumentaires, véritable répétition de la « guerre des farines » de 1775. Ces tensions se retrouvent à l’échelle locale dans les communes du Midi languedocien. Les mouvements royalistes ont contribué à exaspérer les patriotes ; les mobilisations populaires contre la constitution civile du clergé constituent une menace contre la Révolution à laquelle les protestants sont particulièrement sensibles. Si l’on ajoute à cela les difficultés frumentaires auxquelles le Midi est confronté, on retrouve l’ensemble des facteurs de la radicalisation politique dont Anatoli Ado a dessiné la trame pour l’ensemble du royaume."
"Il est néanmoins un élément qui fait l’originalité du Midi, celui de la frontière confessionnelle."
"L’originalité du Midi tient à l’ampleur et à la précocité de la mobilisation populaire, qu’elle soit hostile ou favorable à la Révolution. Chaque étape du processus de politisation voit l’identité religieuse s’affirmer comme un élément de différenciation politique. De toute évidence, la mobilisation populaire contre le serment est catholique. La guerre contre les châteaux est un phénomène plus complexe mais elle est bien l’expression d’une poussée patriote populaire ancrée en territoire protestant. De part et d’autre, les événements nationaux sont parfaitement connus et occupent une place essentielle dans le processus de politisation populaire, ce qui tend à écarter l’idée de montagnes méridionales ignorantes, archaïques et restées à l’écart du processus de modernisation politique attesté à la fin du xviiie siècle. Les événements parisiens, tout particulièrement la journée du 10 août, provoquent une radicalisation très nette du mouvement populaire patriote que l’on peut caractériser de pré-terroriste. La Bande Noire de Saint-Affrique en est une expression caractéristique. Certes, il s’agit là d’un mouvement exceptionnel et paroxystique, mais non pas isolé : d’autres « pouvoirs exécutifs » voient le jour dans d’autres villes et villages du sud du Massif central. Dans la plupart des cas, ces patriotes radicaux se recrutent au sein de la communauté réformée. La dimension religieuse est une composante essentielle de la violence des affrontements dans un Midi très tôt divisé face à la Révolution."
1793 : La conscription et ses effets :
"Le contexte militaire difficile du début de 1793 contraint le gouvernement à renforcer l’armée et à lever plus de volontaires. Le décret du 24 février 1793 fixe pour chaque département un quota d’hommes à fournir impérativement aux armées. Si l’appel aux volontaires reste le fondement de la démarche de la Convention, la loi autorise à recourir à une forme plus autoritaire de recrutement. Elle reste cependant très vague quant aux modalités et en laisse la responsabilité à chaque commune. Cette disposition est source de nombreux conflits qui s’ajoutent, dans les montagnes, au refus global de toute forme de conscription militaire. Le pays tout entier connaît des troubles plus ou moins graves suscités par la levée dite des « 300 000 hommes »."
"Les communautés de la montagne sont les premières à manifester leur désaccord avec la levée en masse décrétée en février 1793. À partir de cette date, les montagnes deviennent de plus en plus réfractaires. La déchristianisation est également très mal vécue par des communautés qui avaient souvent accepté les réformes, mais n’étaient en aucun cas disposées à accepter la suppression du culte catholique. La résistance se développe en dehors des cantons réputés « fanatiques » d’Angles, aux confins du Tarn, ou de Ganges, aux confins des Cévennes gardoises. Le Lodévois et le Saint-Ponnais sont gagnés par une résistance populaire croissante. Au cours de la Terreur, la participation électorale connaît un recul marqué dans ces régions patriotes ainsi que dans le canton de Ganges, plus divisé politiquement. La déchristianisation joue ici un rôle important dans la désaffection populaire à l’égard des enjeux électoraux."
"En dernier lieu, ce sont les montagnes occidentales de l’Hérault qui entrent dans le mouvement d’opposition à la conscription. Ici, aucun lien ne peut être établi entre la question religieuse et la levée militaire : l’Hérault s’est affirmé favorable à la constitution civile du clergé, à l’exception des régions de Ganges et Bédarieux qui ne sont pas à la pointe du mouvement de refus du recrutement. Ce sont les cantons montagneux situés aux confins de l’Hérault et du Tarn qui entrent en rébellion, mais selon un scénario différent de celui que nous avons observé jusqu’à présent. Le tirage au sort ne suscite aucune insurrection, mais provoque une rupture insidieuse dans les esprits. De rares incidents éclatent à Bédarieux, à Vacquières, dans le canton du Claret et dans les montagnes aux environs d’Angles. En revanche, un phénomène de longue durée se met en place à partir d’avril 1793 autour du refus de la conscription, qui se traduit par un niveau élevé d’insoumission et de désertion. Les jeunes ne restent pas isolés : réfugiés dans les bois, ils bénéficient du soutien de la population qui les cache et les nourrit. Dans les premiers jours d’avril, un rassemblement de jeunes réfractaires est signalé dans les montagnes du canton de Saint-Gervais. L’armée est envoyée, mais, ralentis par la pluie et le froid, les soldats parviennent difficilement jusqu’au village, qu’ils trouvent quasiment désert. Seuls un vieux prêtre réfractaire et quelques jeunes gens sont arrêtés. Peu après, des mouvements suspects sont signalés dans les environs d’Angles. Après enquête, une liste de « gens suspects de la montagne récalcitrante » est établie. Elle comporte vingt-cinq noms : plusieurs notables y côtoient de nombreux métayers et des déserteurs, ainsi que les maires de plusieurs communes du canton ; la famille Azaïs, qui compte un prêtre réfractaire de plus en plus actif dans la Contre-Révolution, est également montrée du doigt. Une vaste opération militaire est montée pour arrêter ces suspects, mais elle aboutit devant un château vide, sensé être le repère des royalistes de la région."
"L’évolution de l’opinion publique à Lodève se retrouve dans le Saint-Ponnais. À la fin de l’été 1794, les officiers municipaux de Riols, commune située à quelques kilomètres de Saint-Pons, sont occupés à régler la question des fourrages livrés à l’armée lorsqu’un attroupement d’hommes et de femmes les assaille, réclamant à grands cris les clés de l’église. Les élus sont maltraités, le curé constitutionnel est traîné de force jusqu’à l’église ; effrayé, il refuse de dire la messe mais y est finalement contraint par les fidèles attroupés qui hurlent « nous le voulons, nous le voulons, nous sommes les maîtres, nous sommes libres, nous voulons la messe ! » Dans les deux exemples de Lodève et Riols se mêlent des revendications économiques, religieuses et politiques; les facteurs déclencheurs sont néanmoins la déchristianisation et les réquisitions militaires. Le refus de la conscription se généralise dans les montagnes héraultaises, après s’être violemment manifesté dans les hautes terres du Gévaudan. Il prend les allures d’une résistance diffuse mais non moins déterminée à l’encontre d’une politique assimilée à la milice de l’Ancien Régime et très mal perçue dans des communautés en proie aux difficultés économiques.
Les premières manifestations hostiles datent de l’été 1793. Elles s’intensifient à l’automne, dans les montagnes situées aux confins des départements de l’Hérault, du Tarn et de l’Aveyron. Dans le canton de La Salvetat, l’insoumission ne cesse de se développer avec l’évidente complicité des autorités locales. En l’an v, une enquête révèle que de nombreux certificats de mariage sont des faux. Les autorités municipales d’Angles et de Fraisses, situées dans la montagne aux confins du Tarn, sont également accusées de cacher de jeunes conscrits revenus dans leur famille sans autorisation. Les communes récusent cette dénonciation, produisant une liste de jeunes conscrits réquisitionnés pour les travaux des champs. Plusieurs villages de la montagne sont secoués par des troubles frumentaires au cours de 1795. À cette date, les sources de mécontentement se superposent et se mêlent inextricablement, gagnant des régions jusque-là réputées patriotes, à l’exemple de Saint-Pons. C’est dans ce contexte difficile que se développe la flambée de violence de l’an V."
1795 : Montagnes blanches contre Montagnes rouges
"Le sursaut protestataire auquel on assiste à partir de 1795 est dû à la conjonction de plusieurs mécontentements et à la réunion d’un ensemble hétéroclite de proscrits dans les bois et les montagnes. Les prêtres réfractaires sont rejoints par les jeunes conscrits, mais aussi par les royalistes rescapés de la répression des mouvements insurrectionnels de 1793 et enfin par les déserteurs, qui gagnent les bois avec armes et bagages. De nombreuses solidarités unissent ces proscrits aux villageois. Liens de la foi, lorsqu’il s’agit du curé de la paroisse, liens du sang, lorsque les proscrits sont de jeunes gens refusant de se rendre sur le front ; enfin, il ne faut pas sous-estimer les haines et les rancœurs qui se sont accumulées au cours de la Terreur. Tout cela explique la cristallisation des mécontentements sur la personne des anciens « terroristes ». Les villes sont au cœur de cette «Terreur blanche », même si les montagnes deviennent de redoutables bases arrière où s’organisent les bandes et se montent les expéditions punitives."
"Ce parti « réactionnaire » s’appuie donc sur une assise sociale large et représentative de la société lodévoise. À l’exception des nobles, son recrutement n’est pas très différent de celui du parti Jacobin. Des patriotes rejetés lors de la Terreur se retrouvent en effet dans ses rangs et ne sont pas les moins déterminés à réduire à néant les Jacobins. Ce parti, enfin, développe ses ramifications dans toute la partie montagneuse de l’Hérault, en particulier dans la région de Saint-Pons où les conflits ne sont pas moins importants lors des élections de germinal an V. De manière générale, les troubles ne cessent plus à partir de cette date."
Comme on le voit, le sujet de le Révolution dans nos montagnes est riche. Il serait intéressant de poursuivre l'étude par la recherche d'informations et d'histoires locales. Comment les populations du Soulié et du Somail ont-elles vécues cette période ? Qui étaient les contre-révolutionnaires du "Trou du curé" ?...
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